27 mai 2015. J’étais sans nouvelle de Mélissa depuis son premier traitement de chimiothérapie, une semaine plus tôt. Je me doutais bien qu’elle passait un mauvais quart d’heure. Mais en vérité, je ne m’inquiétais pas, je la savais entourée.
Puis est arrivé ce message :
– Allo Judith! Je voulais juste te donner les dernières nouvelles. Ton chum ne te l’a pas dit par respect du secret professionnel, mais je suis hospitalisée en ce moment pour une infection sévère à l’abdomen. C’est lui le chirurgien qui suit mon dossier. Pas d’inquiétude toutefois, mon état s’est stabilisé très rapidement et je devrais sortir bientôt. Cette complication est dû au fait que la chimio détruit les globules blancs, donc je me suis retrouvée avec le système immunitaire complètement à plat, sans le savoir. Maintenant ça va, les globules remontent, tout est beau! Je voulais juste souligner au passage le professionnalisme et la gentillesse de ton chum en tant que médecin, de mon point de vue de patiente qui en a vu d’autres. C’est un gentleman et je suis certaine qu’il agit comme ça avec tous ses patients. Tu peux être fière de l’avoir encouragé dans cette voie, envers et contre tout. Il est tout à fait à sa place. S’il rencontre des patients qui ne l’aiment pas ou le critiquent, qu’il s’en lave les mains; ce sont certainement eux le problème! Bonne journée! Take care xxxxx
J’ai terminé ma lecture dans un état de stupeur : « Tu peux être fière de l’avoir encouragé… envers et contre tout. Fière… encouragé… envers et contre tout. Encouragé… envers et contre tout. Fière. » Chaque fois que je relis cette phrase, et en ce moment où j’écris, le même effet se produit : ma gorge se rétrécit et mon souffle se raccourcit.
Non. Ce n’est pas vrai. Je n’ai pas encouragé cet homme, que j’aime, envers et contre tout. À la lecture de ces mots défilent dans ma tête, à une vitesse affolante, mes innombrables reproches pour ses absences, pour son manque de temps, pour sa fatigue même. Avec lui, je ne suis pas celle que je montre à tous les autres, je ne suis pas celle que je montrais à Mélissa.
Je suis parfois dure – comme je le suis envers moi-même –, très critique, irréaliste dans mes demandes et mes attentes. Je pourrais – je devrais peut-être – le garder pour moi, mais je vous en parle parce que nous sommes nombreux à croire que notre malheur vient du dehors.
Ce n’est pas vrai. Il vient du dedans, mais il faut du courage pour l’admettre.
En m’écrivant ce mot de gratitude, Mélissa nous envoyait des fleurs à tous les deux. Elle savait le sacrifice que j’avais fait pour accompagner mon conjoint à Trois-Rivières. Elle connaissait l’ampleur de la crise personnelle que j’avais traversée. Oui, bien sûr, j’ai soutenu cet homme, que j’aime, nous partageons notre vie depuis 16 ans. Mais je ne l’ai certainement pas fait comme il l’aurait souhaité, et l’inverse est tout aussi vrai.
La vie de couple est la plus grande aventure qui soit, car il faut, à mon sens, que chaque individu s’épanouisse pleinement, par lui-même, afin que le couple puisse s’épanouir, ce qui constitue un immense défi.
La vérité de Mélissa était celle d’une patiente qui voyait en mon mari un médecin dévoué, humain et généreux. Ce que je considérais comme un manque de présence, de temps, d’énergie, les patients, eux, le recevaient comme un cadeau. Elle m’a permis de comprendre que je vivais de manière bien égoïste, que je recherchais avant tout mon intérêt personnel. Je ne le réalisais pas, évidemment, emmurée dans mes peurs et mes angoisses.
Je voulais tant que ma vie soit telle que je l’avais imaginée que j’oubliais d’apprécier tout ce que j’ai… et j’ai beaucoup, croyez-moi.
Sa vérité m’a profondément touchée et a fait renaître mon admiration pour celui que j’aime, ce sentiment essentiel à l’amour, que trop de colère et de ressentiment avaient réussi à masquer.
Mélissa ne saura jamais l’effet déterminant que son court message a eu sur moi et – je peux bien l’avouer – sur mon mariage. Je lui ai simplement répondu :
– Merci de prendre le temps de me donner des nouvelles. Fais-moi signe quand tu iras mieux pour qu’on se voit. Merci pour les bons mots à l’égard de Jean-François. Je pense à toi très fort.
– Oui, dès que je peux, je te fais signe. Ça me fera du bien de te voir et de sortir un peu.
Puis, quelques jours plus tard :
– Juste pour dire que je suis sortie de l’hôpital jeudi, en fin d’après-midi, avec une tonne et quart d’antibiotiques. Je vais bien, mais je suis fatiguée. Ce sera mon lit pour les prochaines semaines, j’ai l’impression. Autant m’y faire et apprendre à écouter mon corps. Saleté d’autocorrecteur! Ce sera mon LOT pas mon lit!
J’ai éclaté de rire.
Pour moi, ce serait elle. J’en avais décidé ainsi. Ce serait ma manière de me racheter, de redonner un peu (si peu) de tout ce que j’avais reçu.
Judith Proulx dit :
Chère Marie, je sais exactement ce que tu ressens. Et même cette jalousie envers les patients dont on a souvent l’impression qu’ils reçoivent plus que nous.
Andrée Côté dit :
Quand j’ai connu Dr JF je l’ai tout de suite apprécié pour toutes ses qualités de coeur: attentionné, humain et à l’écoute de ses patients. Et je me suis dit: il doit être un bon mari et un bon papa. Et je le pense encore. Pour avoir travaillé 30 ans de ma vie auprès de plusieurs médecins, je ne peux que confirmer que le don de soi prend une place importante dans leur vie.
Judith Proulx dit :
Vous avez bien raison Andrée! Et, en cela, ils sont admirables, tout comme les infirmières/infirmiers et les autres intervenants du milieu de la santé, que j’admire beaucoup.
Andrée Côté dit :
Excusez-moi mais que j’admire beaucoup et non j’adnirent.
Pas de problème car j’aime beaucoup vous lire et sur Internet on se fait prendre si on ne se relit pas..Merci et bonne soirée
Andrée
Carole Blondeau dit :
Je viens de prendre le temps de lire tous tes textes.
WOW! Tu as vraiment trouvé ta voie. Plusieurs pourront s’y reconnaître et reconnaître une Judith, une Melissa ou un JF dans tes textes si colorés. Ils devraient se retrouver dans un livre à laisser sur une table de chevet . Ce serait une source d’inspiration et on pourrait s’y référer lors de bons ou de mauvais moments à passer.
Tu as le don de faire vivre les mots , continue. BRAVO!!!
Judith Proulx dit :
Ce mot : Continue. C’est lui qui fait le plus de bien. Merci Carole!