Ce que mon engagement à changer m’a appris

Mon rêve d’enfant

Enfant, je rêvais de devenir médecin, comme mes parents. Mon père m’emmenait souvent visiter des malades à domicile et c’était, pour moi, une immense fierté. Que tous ces gens habitent «à domicile», que je croyais être un village, me fascinait au plus haut point!Chaque fois, la même excitation s’emparait de moi. On prenait le rang Ste-Anne vers Saint-Léonard-d’Aston en suivant la rivière Nicolet. À l’approche du chemin de fer, mon père appuyait sur l’accélérateur et l’espace d’un instant, on s’envolait. La voiture atterrissait de l’autre côté de la voie ferrée dans un craquement sonore qui me faisait crier de joie.

C’était ça, la liberté!

Quelques kilomètres plus loin, notre Station Wagon s’immobilisait devant une vieille maison de campagne. Mon père attrapait sa valise de docteur et on se dirigeait vers le portique.

Qu’est-ce que j’allais découvrir? Chaque fois, une nouvelle aventure m’attendait : toutes sortes de bobos, d’odeurs, de bruits, de portraits, de chapelets. J’examinais les lieux dans leurs moindres détails et c’est à regret que je quittais la pièce au moment de l’examen médical.

Si, par bonheur, il s’agissait d’un examen des pieds, des jambes ou des bras, j’avais le droit de rester. J’agrandissais les yeux en découvrant les orteils cornus, les ongles jaunâtres, la peau translucide, les veines bleutées… C’était si différent de moi!

Lorsque je demeurais dans la pièce d’à côté, je ne perdais pas un seul des mots prononcés par mon père. J’apprenais à écouter et à soigner les malades pour le jour où je deviendrais médecin.

Souvent, ça s’éternisait. Quand je n’en pouvais plus, je gigotais, je faisais de gros yeux à mon père, qui feignait de ne rien voir, puis je lançais un timide :

– Pa-pa, c’est long… On part tu bientôt?

­– Oui, oui, ma chouette ! Bientôt…

J’attendais… encore et encore et encore… Car, voyez-vous, pour mon père, le temps était une notion très floue. Il n’y avait pas – il n’y a toujours pas – de limite au temps qu’il peut consacrer à ses patients parce qu’il les aime et que son dévouement dépasse tout ce que vous pouvez imaginer.

Il m’a manqué mon père, mais aujourd’hui, je comprends.

Avec maman, c’était bien différent. On partait toutes les deux et on allait faire la tournée à l’hôpital. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire «la tournée» puisqu’il n’y avait de tourniquet nulle part. Au contraire, on passait notre temps à monter et à descendre les escaliers pour aller d’un patient à l’autre. En fait, moi, je n’allais pas vraiment voir les patients. Je restais au poste des infirmières et je coloriais en attendant ma mère.

Là encore, j’observais tout ce qui se passait et j’écoutais. C’est ce qui me frappait le plus : les bruits, le mouvement, l’agitation. Les infirmières n’arrêtaient jamais. Elles répondaient à tous les besoins, ceux des patients comme ceux des médecins. Elles s’occupaient même de moi quand je trouvais le temps long.

À l’hôpital, je me sentais bien, j’étais dans mon élément. Chaque fois que l’interphone appelait un médecin, je m’imaginais entendre mon nom, et ça me rendait heureuse.

J’ai nourri ce rêve d’enfant durant tout mon parcours scolaire. Malgré mon penchant naturel pour la lecture, l’écriture, le théâtre, j’ai choisi les maths, la bio, la chimie. J’ai fait de ce rêve une norme rigide à laquelle je devais absolument me soumettre pour réussir ma vie et être reconnue socialement.

Quand j’ai constaté, lors de ma deuxième année en sciences de la nature, que mes notes étaient insuffisantes pour me permettre d’être admise en médecine, j’ai vécu la plus grande déchirure de ma jeune existence. J’avais sacrifié ce que j’aimais – la littérature, le théâtre, les arts – dans l’espoir de devenir médecin et j’étais confrontée à ce que je percevais alors comme mon échec, mon insuffisance.

J’avais 18 ans et j’étais tellement blessée que j’ai décidé de tirer un trait définitif sur tout ce qui relevait du monde de la santé.

Mon amoureux, lui, est devenu médecin. Je lui en ai longtemps voulu de réaliser mon rêve d’enfant. Durant nos années d’études universitaires, lorsqu’on croisait des gens qui me disaient : « Toi, t’es en médecine, hein? », c’était comme recevoir une claque en plein visage. Je l’avais tellement dit que je deviendrais médecin. Mon album de finissante est rempli de messages me souhaitant bonne chance dans ma future carrière de médecin.

– Non, j’étudie en littérature. Mon chum, lui, est en médecine.

Immanquablement, leurs yeux se voilaient d’incompréhension :

– Ah bon… j’étais pourtant sûr que… On fait quoi au juste avec un bac en littérature?

– Je veux enseigner au cégep.

Point à la ligne. Fin de la discussion.

Je crois que si j’avais vraiment voulu réaliser mon rêve d’enfant, je l’aurais fait. J’aurais persévéré jusqu’à y parvenir.

Si je ne l’ai pas fait, c’est que je savais, au fond de moi, que ce n’était pas ma place. Je n’ai jamais eu d’intérêt pour l’aspect scientifique de la médecine ni pour les pathologies ni pour les médicaments. Ce sont les humains qui me passionnent : leurs joies, leurs peines, leurs forces, leurs failles. L’incroyable complexité de la nature humaine.

J’ai mis plusieurs années à faire mon deuil de la médecine, et c’est en grande partie grâce à Mélissa que mon conflit intérieur s’est résolu. En l’accompagnant dans les différentes étapes de sa maladie, j’ai enfin compris que je n’avais besoin d’aucune connaissance médicale, d’aucun doctorat en médecine, d’aucun statut social particulier pour lui apporter le réconfort dont elle avait besoin.

Il suffisait d’être moi-même, le plus humblement et le plus simplement du monde.

5 pensées sur “Mon rêve d’enfant”

  1. Linda dit :

    Tellement dit avec justesse !! Des mots qui parles !!! Je ne possède pas ce talent de pouvoir faire parler les mots , longue vie à ton talent Judith !! C’est du pur bonheur de te lire !!

  2. K. dit :

    Wowwwww c’est mon préféré de tous…. Je ne savais même pas que tu voulais devenir médecin…. ben peut être que je l’ai su mais rapidement oublié!

    Tu es extra ma cousine d’amour xxxx

  3. Annie Michaud dit :

    Comme quoi il faut suivre son cœur….

  4. Judith Proulx dit :

    Merci beaucoup Pauline! Ton message m’énergise et m’encourage à continuer!

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