Ce matin, j’ai la peur au ventre. L’angoisse envahit mon corps et ma tête. Elle crée une tension douloureuse le long de ma nuque et de mes épaules. Elle rétrécit ma gorge. Elle m’insulte pour brimer ma créativité :
– Ce que tu fais est inutile. Ton projet d’écriture n’intéresse personne. Qu’est-ce qu’on va dire de toi?
La peur et le doute m’habitent depuis toujours. J’ai été une enfant terrifiée, malgré tout l’amour de mes parents. J’avais peur de la pluie, du vent, des nuages, des éclairs, du tonnerre, de la nuit, du feu, des voleurs. Peur du barrage qu’il fallait traverser pour se rendre à notre île secrète. Peur qu’on se trompe de chemin en voiture et qu’on manque d’essence – c’était bien avant les GPS! Peur des autres enfants, qui me semblaient si menaçants. Peur de faire une erreur. Peur de ne pas mériter l’amour de mes parents. Peur d’être imparfaite – ce que je suis, forcément. Ce que nous sommes tous!
Mon premier jour de maternelle a été l’expérience la plus douloureuse de mon enfance. Je pleurais à chaudes larmes dans le petit autobus jaune qui m’arrachait de mon univers familial, et j’ai pleuré pendant des semaines. Pourtant, mes parents étaient là, ils m’encourageaient, me répétaient à quel point ils étaient fiers de moi. Ma mère avait même inventé une comptine pour me donner du courage. Je la chantais chaque matin d’une voix tremblante avant de quitter la maison. Au fond de moi, je ne comprenais pas pourquoi je devais partir, alors que mes frères restaient. J’avais l’étrange sentiment de les abandonner et en même temps d’être abandonnée.
J’ai développé des maux de ventre, puis de l’asthme, qu’on a traité à l’aide de pompes et de médicaments. Étrangement, personne n’a cru bon de m’emmener consulter un psychologue. J’imagine que ce n’était pas une option aussi courante dans les années 80. Peut-être aussi qu’il était trop difficile pour mes parents de voir l’ampleur de ma souffrance. Comment peut-on admettre et gérer la souffrance d’une enfant aimée, élevée dans la ouate?
Mélissa aussi était envahie par la peur et l’angoisse. Les premières semaines, ça allait. Malgré les effets du cancer sur son corps, la maladie n’était pas encore visible. Pour masquer la peur, elle livrait un combat perdu d’avance contre sa compagnie d’assurance qui refusait de la dédommager pour sa perte de revenu. Mélissa avait quitté son emploi en janvier, deux mois avant de recevoir son diagnostic… Elle était déjà trop faible.
Je comprenais et je ressentais son désarroi. La situation était injuste et l’argent commençait réellement à manquer. Mais j’éprouvais un malaise. Mélissa était rongée par un cancer agressif, subissait une batterie de tests et commencerait sous peu la chimiothérapie. Était-ce vraiment à elle de se battre contre son assureur? D’amasser des preuves, de monter un dossier? Quelle injustice! Le fardeau de la maladie n’était-il pas assez grand?
Je m’assoyais tout près d’elle et je l’écoutais. Les encouragements me semblaient inopportuns, les mots vides de sens. J’ai compris bien plus tard que cette lutte était pour elle l’unique moyen de contrôler un tant soit peu son existence. Mélissa était une femme forte, habituée à gérer le moindre détail de sa vie. Or, elle n’avait aucune prise sur la maladie. Si vous avez déjà eu la sensation extrêmement désagréable que le sol se dérobe sous vos pieds, vous savez de quoi je parle.
Son cancer vivait, grandissait en elle, envahissait son ventre. Elle était si mince que je pouvais le voir. Comme un renflement près de son nombril. Dire que trois ans auparavant, c’était un enfant qu’elle avait vu grandir là. C’était insoutenable!
La guerre que Mélissa menait contre son assureur lui permettait de croire en son avenir. En fait, elle devait y croire, pour elle et pour sa fille. Elle s’acharnait donc à préparer cet avenir en évitant le gouffre financier.
Quand j’y repense, je comprends parfaitement son indignation et la réaction qu’elle a eue face à cette injustice.
Pourtant, une question m’obsède : si sa peur n’avait pas été si grande, aurait-elle pu profiter davantage du peu de vie qu’il lui restait?
Ani Blanchette dit :
Je crois belle Judith que tu as trouvé ta voie! Tu es faite pour écrire, moi je te lirai toujours avec le même engouement! Merci d’être vraie et si efficace à nous faire ressentir les choses!
Judith Proulx dit :
Merci Ani!
Courteau Carole dit :
J’ai lu tout tes textes,tu as une superbe plume Judith continue ton beau travail,c’est vraiment intéressant plaisant et touchant de te lire!!!!!!
Andrée Côté dit :
La peur fait perdre nos moyens.. mais on ne peut éviter l’inévitable. Alors que faire?
Je suis face à une réalité que je n’aime pas mais puis-je reculer dans le temps. Alors la vie est en avant, demain et après-demain et la suite.
L’optimisme et l’acceptation font faire des miracles. On est face à un choix: refuser ou accepter. Moi je me suis dit que j’ai encore des choses à faire et des messages à propager. Donc mon heure est loin d’être arrivée…
Judith Proulx dit :
Bravo Andrée! Oui, la vie est devant nous et on peut négocier nos virages. On a ce pouvoir de créer notre vie, mais c’est parfois déstabilisant, apeurant, car toutes sortes de barrières s’élèvent sur la route. Et, les plus hautes sont celles qu’on retrouve au-dedans.
Andrée Côté dit :
Et Judith en passant tu me fais réfléchir beaucoup…merci