Mélissa et moi, on aimait écrire. On s’est beaucoup écrit. Un jour, au bureau, elle s’était confiée, comme ça, tout bonnement : « T’sé, ma vie, ç’a pas toujours été facile. J’te dis, je pourrais écrire un livre avec tout ce que j’ai vécu. Je l’ferai jamais. J’suis pas une écrivaine, mais… c’est mon rêve pareil. »
L’inattendu
L’inattendu survient, même lorsqu’on croyait avoir tout prévu. L’automne où j’ai réalisé que je souffrais d’un trouble anxieux, j’ai également réalisé que j’étais enceinte. Je me souviens d’avoir regardé le test de longues minutes sans bouger, dans un état d’hébétude complet. Puis d’être allée en acheter un deuxième. Même constat.
Le cancer
Avril 2015. L’air était frais, le soleil, radieux. On s’était donné rendez-vous dans un café. Je l’attendais, fébrile. Je réfléchissais à ce que j’allais lui dire. Qu’est-ce qu’on dit à son amie atteinte du cancer? C’était la première fois qu’une personne de mon entourage, jeune et pleine de vie, souffrait d’une maladie potentiellement incurable. J’étais perturbée.
L’angoisse
Septembre 2008. Ma carrière de prof prenait son envol. J’avais une tâche complète pour la première fois : deux groupes auxquels j’enseignais la littérature française du Moyen Âge à 1899, deux groupes auxquels j’enseignais la littérature française de 1900 à nos jours. 15 semaines, 8 grands classiques littéraires, 133 étudiants, 9 évaluations pour chacun d’eux. Facile la vie de prof de cégep!
Pas tant que ça…
La tempête
Je crois que c’est d’abord cette tempête du début de la trentaine qui nous a attirées l’une à l’autre, Mélissa et moi. On arrivait au bureau chaque matin en poussant un soupir de soulagement. On avait réussi, une fois de plus. Oui! Pour une mère de famille, arriver au travail à l’heure relève de l’exploit. Nos débuts de journée tenaient de la magie.
Soudainement, on se transformait en caricature de nous-mêmes pour jouer les scènes marquantes de la veille ou du réveil. C’était presque une compétition!
La maternité
Toutes les femmes qui ont des enfants pourront l’affirmer : être mère est un état en perpétuelle mutation. Il y a une manière d’être qui précède la maternité et une manière d’être qui suit la maternité. L’insouciance, la liberté; l’inquiétude, la culpabilité. La force aussi, et l’amour, inconditionnel.
Je suis devenue mère à l’âge de 26 ans sans l’avoir planifié. Je voulais des enfants, mais pas à ce moment. Pour moi, l’apprentissage de la maternité n’est pas simple. Je me sens si souvent dépassée, envahie, écrasée. Insuffisante. Ma mère, elle, n’a jamais semblé avoir de limites. Est-ce normal que j’en aie?
La peur
Ce matin, j’ai la peur au ventre. L’angoisse envahit mon corps et ma tête. Elle crée une tension douloureuse le long de ma nuque et de mes épaules. Elle rétrécit ma gorge. Elle m’insulte pour brimer ma créativité :
– Ce que tu fais est inutile. Ton projet d’écriture n’intéresse personne. Qu’est-ce qu’on va dire de toi?
Le regret
Entre le moment où Mélissa a quitté l’agence de communication où on travaillait – elle comme graphiste, moi comme rédactrice – et celui où elle m’a annoncé son diagnostic de cancer, on ne s’est pas vues. Pas une seule fois. C’est ce que je regrette le plus…
Le choc
Entre Mélissa et moi, c’était une amitié naissante. Vous savez, quand on se prend d’affection pour une collègue de travail. On dine ensemble, on apprend à se connaitre, on rit. Les 5 à 7 s’éternisent, on boit trop, on se confie : on devient amies. Si vous nous aviez vues! On formait un duo improbable. Elle, avec son humour scabreux, ses mots crus, ses jokes de trucker; moi, avec mon langage-verni-de-prof-de-littérature. Elle, avec son look flamboyant, toujours à l’affut des nouvelles tendances; moi, avec mon style classique, très construit, trop léché peut-être…