Novembre 2016. Je participais au souper du Regroupement des femmes de carrière de la Mauricie pour la première fois, et j’étais mal à l’aise d’arriver seule dans ce monde inconnu. Je parlais sans doute plus fort qu’à l’habitude, je gesticulais peut-être davantage aussi. J’ai cette manie de devenir exubérante quand je suis intimidée – c’est très contradictoire me direz-vous, mais c’est ainsi.
Les femmes du comité d’accueil m’ont expliqué le déroulement de la soirée, puis m’ont remis un exemplaire du Relation’Elle.
Quoi? Un journal? C’est ma chance! me suis-je dit.
Je n’ai même pas pris le temps de le feuilleter, j’ai tout de suite demandé qui était en charge de ce journal.
Du bout du doigt, on m’a indiqué une femme au sourire éclatant qui portait un chemisier à pois – moi qui adore les pois! Je me suis dirigée vers elle sans hésiter pour lui dire que je voulais écrire moi aussi : une colonne, une petite chronique, n’importe quoi. Écrire, c’est tout. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un courriel qui m’annonçait le thème du premier numéro auquel j’allais contribuer : La pression. C’est une blague! Mais non… C’était écrit noir sur blanc.
Thème du mois de mars : La pression
Date de tombée : Mercredi, le 1er février 2017
Différentes avenues possibles pour ce thème : Comment réagit-on face à la pression? Comment peut-on gérer la pression? La pression de la performance à tout prix, jusqu’où doit-on aller? …
Inutile d’aller plus loin, j’avais déjà déterminé mon angle d’approche : la vérité. Plus question de me cacher! L’occasion de me faire connaître m’était offerte sur un plateau d’argent. Je me suis installée pour écrire et j’ai plongé en mon for intérieur.
«Lorsque France m’a annoncé le thème du premier numéro dans lequel j’allais écrire, je n’en revenais tout simplement pas. La pression! J’ai une si longue histoire avec elle, je la connais si intimement… à un point tel qu’elle m’a rendue malade.
Au moment où je suis devenue prof de littérature, il y a dix ans, je me suis mis tellement de pression sur les épaules que j’ai développé un trouble anxieux qui m’affecte encore aujourd’hui. J’en parle ouvertement, mais croyez-moi, ça n’a pas toujours été le cas. J’ai longtemps caché le fait que je souffrais d’anxiété de performance, obsédée que j’étais à donner de ma vie et de moi-même une image parfaite.
Car, pour moi, comme pour plusieurs d’entre vous peut-être, pression rime avec perfection. Et, à force de subir cette pression, on finit par tomber en «dé-pression». Notre système tout entier s’affole pour qu’on le libère de ce terrible poids qui l’écrase. Cet état, extrêmement douloureux pour le corps et l’esprit, est néanmoins une occasion unique de changement.
Pour moi, ce fut le début d’un long processus de réflexion, qui s’est avéré déstabilisant pour ne pas dire déconcertant. Cette analyse de ma psyché m’a amenée à voir la vie autrement, à redéfinir mes valeurs et mes critères de réussite, si bien que je perçois maintenant la pression de manière complètement différente. Je vois en elle une force qui me pousse à agir.
Lorsque j’ai choisi de mettre l’écriture au cœur de ma vie professionnelle, j’ai fait lire mes textes à plusieurs personnes de mon entourage qui me disaient : «Mais c’est un livre que tu écris! Fais-le jusqu’au bout et publie-le. Ce sera bien mieux qu’un blogue. Tout le monde tient un blogue de nos jours. Comment vas-tu faire pour te démarquer?»
Je savais, au contraire, que j’aurais besoin de cette pression hebdomadaire pour écrire. J’étais consciente que si je m’engageais, envers moi-même et envers mes lecteurs, à publier un article par semaine, je le ferais. Sans cet objectif précis, je risquais de procrastiner en quête constante du texte parfait, du mot parfait, de la virgule parfaite…
Et je tiens bon! Malgré le travail considérable que représente mon défi. Maintenant, chaque fois que je m’exprime au sujet de la pression, j’aborde ses deux visages, qui me semblent indissociables : celui qui écrase mon énergie, ma créativité, et celui qui les libère.
Depuis que j’accepte de reconnaitre mes propres limites, je vois la pression comme une force qui me permet d’atteindre, voire de dépasser mes objectifs. C’est également ce que je vous souhaite, chères lectrices!»
Je ne sais pas ce que les membres du Regroupement ont pensé de ce texte. Je relis aujourd’hui mes propres mots et je me demande si j’ai été honnête… À quel point suis-je capable de gérer la pression que je me mets sur les épaules? Suis-je vraiment libérée de mes exigences de performance?
Concernant le blogue justement… Je tiens ce rythme d’un texte par semaine depuis maintenant 7 mois, et je constate que je ne suis jamais loin de verser du mauvais côté de la force, c’est dans ma nature. J’ai peur de ne pas être assez bonne, de ne pas être assez intéressante, de ne pas être assez lue. Et mon projet de livre que je peine à faire avancer… Je me sens parfois écrasée par le poids de mes idéaux. Je dois constamment rappeler à ma saboteuse intérieure (encore elle!) de se calmer, de s’assouplir, d’être bienveillante à mon égard.
Je lis partout qu’il faut chercher à atteindre l’équilibre : je n’y crois pas et, pour tout dire, j’y renonce. C’est beaucoup trop de pression pour moi.
Apprendre à jongler avec mon déséquilibre, ce sera bien suffisant!
Danielle Fiset dit :
Très chère Judith,
Selon moi, l’équilibre ne peut avoir lieu que dans le déséquilibre.
J’espère que tu as su relâcher un peu la pression face à l’écriture de ton récit qui, je n’en doute pas, coulera de source puisqu’il prend justement sa source dans ton coeur…
Laisse-toi aller ma belle et pense à cette brève conversation que nous avons eue en regardant ces toiles dont quelques-unes nous arrivaient tout droit des « Automatistes ».
Tu te rappelles, je t’ai dit de cesser de te remettre sans cesse en question face à ce que tu pouvais ou non dévoiler de ce que tu savais des pensées intimes de ton amie? Je t’ai, bien effrontément et bien humblement conseiller d’écrire, tout simplement, que le reste du travail se ferait de lui-même lors de la réécriture.
Je ne sais pas pourquoi je t’écris tout cela ce matin, j’ai eu une impulsion subite et je l’ai suivie. J’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur, ça me semblait important.
Je te laisse avec cette très belle citation de Borduas, que tu as sans doute lue dans le corridor du département et que j’avais choisie à l’époque.
Pour moi, elle est toujours aussi belle et aussi vraie, mais elle m’est revenue en tête ce matin et je devais absolument te l’envoyer. J’espère qu’elle saura te parler :
« La vérité est une relation rassurante à un moment donné de notre vie, ou de l’histoire.
La beauté, une relation troublante. Toutes deux ont besoin de l’espoir. »
Tu te prépares à joindre la vérité et la beauté, laisse-les faire, elles trouveront bien le moyen de s’entrecroiser.
Judith Proulx dit :
Tu ne sais pas, ma chère Danielle, à quel point ton message tombe à point au moment où je le lis ce matin. Merci infiniment d’avoir suivi ton impulsion!
Judith Proulx dit :
Ça me fait tellement de bien de lire ça, Pierre. Merci!