15 juin 2015. Je venais de terminer la dernière valise, j’avais le cœur à la fête. On partait en voyage. On en rêvait depuis des semaines. Surexcités, les enfants sont montés dans l’auto en se bousculant et en répétant les étapes du trajet jusqu’à nous en faire perdre la tête :
– Là maman, on s’en va prendre l’avion. Après, on va prendre un autobus spécial jusqu’au gros bateau, plus gros que toute notre maison. C’est là qu’on va vivre pendant une semaine!
– Oui, mon amour! C’est ça!
– Quand est-ce qu’on arrive?
– Hum… Ça va prendre un p’tit bout encore. Essaie de te reposer. Ferme tes yeux.
– NON! Je veux aller à l’aéroport pour prendre l’avion, pis l’autobus qui va nous emmener au bateau géant… (Et ainsi de suite!)
Complètement abrutissant, mais si charmant quand j’y repense. Les enfants ne se souciaient même pas de la destination du voyage. La seule chose qui les intéressait, à ce moment, était de découvrir tous les moyens de transport qui nous permettraient d’y arriver. Imaginez la tête de mon fils lorsqu’il a vu le train souterrain qu’on devait prendre pour aller d’un terminal à l’autre de l’aéroport : le Bonheur!
De ce voyage-là – le plus merveilleux qu’on ait fait à ce jour –, je n’ai rien dit à Mélissa. J’étais trop mal à l’aise de lui exposer mon bonheur, alors qu’elle se débattait contre son malheur. Je me sentais coupable d’être si privilégiée. Je la connaissais depuis moins de deux ans; j’avais voyagé cinq ou six fois durant cette période. Elle n’avait jamais pris l’avion, même si elle rêvait d’aventures. L’argent manquait. Depuis qu’elle avait cessé de travailler pour guérir son cancer, il manquait encore plus cruellement. Si cruellement que l’idée de faire une campagne de sociofinancement s’est imposée. De cette manière, tous ceux qui souhaitaient lui offrir du soutien pourraient le faire directement sur le Web. Je savais à quel point Mélissa devait piler sur son orgueil pour dévoiler sa situation financière et demander de l’aide, mais elle n’avait plus le choix.
Symboliquement, cette demande d’argent signifiait qu’elle avait perdu le contrôle de la situation et, pour une femme aussi indépendante et fière que Mélissa, ce devait terrible.
Le plus dignement du monde, elle a composé un texte expliquant sa condition et demandant aux gens leur contribution financière. Le 1er juillet, elle me l’a partagé en me demandant de le réviser :
« Quand un mal comme le cancer vous frappe, les soucis financiers sont bien la dernière chose avec laquelle vous avez envie de vous battre.
Je m’appelle Mélissa, j’ai 34 ans et je suis l’heureuse maman d’une fillette de 3 ans. Je suis aussi greffée du foie, conséquence d’une maladie grave à la naissance. Je suis donc plutôt chanceuse d’être en vie et la naissance de ma fille est, en quelque sorte, un miracle.
Mais voilà qu’en mars dernier, j’ai reçu un diagnostic coup de poing : je souffre d’un lymphome diffus à grandes cellules de type B, au stade 4. C’est une forme agressive de cancer, au niveau de l’intestin grêle. Ce dernier est dû à la médication que je dois prendre pour éviter le rejet de mon foie greffé. La guérison d’un tel cancer est possible, mais elle prend du temps.
En ce moment et jusqu’à la fin des traitements, je suis sans revenu. J’ai été refusée par les assureurs, les uns après les autres, ainsi que par les mesures d’aide gouvernementale en place. J’ai frappé à toutes les portes possibles, mais elles se sont refermées sur moi les unes après les autres. Je me retrouve donc à devoir tout à payer avec le seul salaire de mon conjoint. Les fins de mois sont tout simplement impossibles à boucler. Ma famille a grand besoin d’aide.
Je souhaite me concentrer sur ma guérison, même si elle n’est pas certaine. L’épreuve du cancer est déjà bien assez douloureuse et l’idée de peut-être en mourir est odieuse. Ajoutez à cela celle de perdre tout ce que mon conjoint et moi avons bâti au fil du temps, cela devient tout simplement insupportable. C’est bien la dernière chose qu’une maman souhaite pour sa famille. Je vous remercie à l’avance pour votre soutien. »
J’ai reçu son texte comme on reçoit une gifle.
Mélissa avait su exprimer sa réalité de manière touchante, sans être larmoyante : une vérité sans détour ni complaisance qui m’a serré les tripes. J’étais déjà acquise à sa cause, je l’ai été encore plus. Je voulais faire partie de ce voyage-là et ne jamais arriver à destination, car j’avais trop peur de ce qu’elle pourrait être.
J’ai partagé son texte des dizaines de fois sur ma page Facebook, j’en ai parlé à toutes mes connaissances. J’ai suivi sa campagne avec une frénésie que je ne me connaissais pas.
Je n’étais pas la seule, Mélissa était aimée de tous. Grâce à son charisme magnétique, elle entrait en relation avec les autres de manière quasi instantanée. La mobilisation autour de sa cause a été incroyable. En deux jours, elle a amassé plus de 10 000 dollars et attiré l’attention de tous les médias de la région, ce qui a créé un engouement encore plus fort.
Malgré son malaise, Mélissa a choisi de se laisser porter par cette vague d’amour et d’exprimer sa reconnaissance d’une manière qui me bouleverse encore :
« J’aimerais vous remercier un à un, mais je suis trop émue et je manque cruellement d’énergie pour le faire. Sachez au moins que les soucis financiers s’éloignent de moi, ce qui va me donner plus de force pour guérir.
À vous tous qui partagez, qui donnez, qui nous soutenez : je vous remercie sincèrement, humblement, du plus profond de mon cœur. Il n’y pas de mot suffisamment fort pour exprimer toute ma gratitude. Vous êtes la lumière du soleil qui transperce les nuages. J’ai toujours eu confiance en la nature humaine et vous me donnez raison de continuer. Je suis abasourdie de voir toute cette mobilisation, toute cette générosité. C’est ça, l’Amour Universel. Merci. Merci. Merci. »
Après le choc, le tourment, la souffrance, Mélissa entrait dans une nouvelle phase de son périple. Grâce au soutien de tous ces gens, elle retrouvait de l’espoir et du courage.
Pour moi, l’anxieuse qui n’a jamais su apprécier le voyage, trop obsédée par la destination, ce fut une grande leçon. Mélissa me donnait la preuve que la vie est un voyage fait d’inattendu et que chaque étape du trajet mérite d’être pleinement vécue.
Judith Proulx dit :
Oui, très bon voyage! En effet, il faut prendre conscience que les gens qui combattent une maladie grave sont souvent confrontés à d’importants problèmes financiers… et à très peu de ressources.