Ce que mon engagement à changer m’a appris

L’inattendu

L’inattendu survient, même lorsqu’on croyait avoir tout prévu. L’automne où j’ai réalisé que je souffrais d’un trouble anxieux, j’ai également réalisé que j’étais enceinte. Je me souviens d’avoir regardé le test de longues minutes sans bouger, dans un état d’hébétude complet. Puis d’être allée en acheter un deuxième. Même constat.

Je voulais des enfants. J’en voulais même quatre, comme mes parents. Mais pas à ce moment… pas dans cet état. Je voulais faire ma place au cégep, gagner en expérience, en assurance.  Mon anxiété commençait à se calmer. J’enseignais avec plaisir. J’aimais tellement échanger avec mes étudiants, les voir rire, s’étonner, s’émerveiller devant le sens d’un passage littéraire. Pour moi, la littérature a toujours été un moyen privilégié d’atteindre l’âme humaine dans toute sa complexité. Je leur partageais ma passion.

Tous ne la comprenaient pas, bien sûr, mais qu’importe! J’étais heureuse de leur faire découvrir des œuvres qui m’inspiraient et parfois, de leur faire aimer un cours qu’ils avaient jugé d’emblée « plate » ou pire, « inutile ».

Durant les semaines qui ont suivi, j’ai été en plein déni. Je me suis entraînée comme une folle en me disant : « Si tu veux vivre, accroche-toi! Moi, je ne veux pas être enceinte! »

Le jour de l’échographie, j’étais dans tous mes états. Je venais d’apprendre que je n’aurais pas de travail au cégep à la session d’hiver. J’aurais pourtant dû m’en réjouir… J’étais enceinte et je venais de traverser la pire période d’angoisse que j’aie vécue. Mais non! Au contraire, je m’enflammais :

Qu’est-ce que je vais devenir? Je vais perdre mon rang sur la sacro-sainte-liste-d’ancienneté-des-précaires. Je vais manquer d’argent durant mon congé de maternité. Je n’aurai jamais de carrière. Jamais… Et hop! Une plongée dans l’absurde! Mon esprit s’emballait, comme toujours, incapable de s’ancrer dans la réalité. D’un scénario à l’autre, la catastrophe s’aggravait…

Ce n’est qu’une fois allongée sur la table d’examen que je me suis apaisée. J’ai respiré profondément. Mon homme est arrivé comme un coup de vent entre deux consultations. Il a serré ma main dans la sienne. Il serait là – pas toujours, pas comme je l’aurais souhaité, mais là, malgré tout. J’ai senti la gelée froide sur mon ventre.

Puis, elle est apparue. J’ai ouvert grand les yeux. Mon cœur a fait une pause pour mieux entendre le sien. Elle vivait. Je voyais sa tête énorme, son petit corps, ses bras en l’air, ses jambes repliées. C’était donc vrai! J’allais donner la vie à mon premier enfant, à ma fille. Je ne saurais l’expliquer de manière logique, mais la voir ainsi m’a immédiatement réconciliée avec le fait d’être enceinte.

J’ai vécu le reste de ma grossesse dans un état de paix et de plénitude. Sans crainte ni angoisse. J’ai fait ce que je m’étais rarement permis de faire : flâner dans les rues, regarder la neige tomber, respirer à pleins poumons, dormir tranquille.

À ce moment-là, je ne comprenais pas du tout la raison pour laquelle toute ma pensée s’était rebellée à l’idée de devenir mère. Aujourd’hui, je le sais. J’étais en deuil. Pas en deuil d’un être cher, non, en deuil de l’idéal que je m’étais fixé : commencer ma carrière, m’installer avec mon mari, prendre le temps de vivre après ses 5 (terribles!) années de résidence en chirurgie.

Je n’étais pas à plaindre. Je réalisais – et c’était difficile pour moi – que la vie ne se passerait pas comme je l’avais prévu. Je serais seule pour m’occuper de notre enfant, alors qu’il devrait tout donner pour se surpasser. C’est ce qu’exigent les études en médecine, rien de moins.

Je devrais apprendre la souplesse et l’acceptation, car je ne contrôlerais rien, en dehors de mes réactions. La vie me surprendrait toujours.

C’est à ce moment que j’ai compris que la rigidité risquait de me briser, alors que la souplesse me donnerait la force de m’adapter.

N’est-ce précisément pour cette part d’inattendu que la vie mérite d’être vécue?

Sinon, pourquoi?

 

 

5 pensées sur “L’inattendu”

  1. chartier lise dit :

    Ah! toi ma belle Judith,superbe je te le redis ……je suis admirative et renversée !!!

  2. Joannie dit :

    À retenir comme mantra : « Plus je suis rigide, plus je risque de casser. Plus je suis souple, plus j’ai la force de m’adapter. » Beau texte Judith, ça doit être liberateur de s’ouvrir comme tu le fais! 😉

    1. Judith Proulx dit :

      Oui, c’est libérateur. Ça me fait prendre conscience que plusieurs aspects fondamentaux de ma vie (enfant, lieu de vie) se sont imposés à moi. Je n’ai pas l’impression de les avoir choisis. Je ne sais pas si c’est comme ça la plupart des gens.

  3. Elie Hanson dit :

    Quel beau témoignage! Quelles leçons de vie!
    C’est difficile de se mettre à nu et de parler de ses sentiments.
    Bravo!

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