Tous mes sens embrassaient la fin de l’été. Je respirais la brise saline qui rendait ma peau collante. Allongée sur la plage, je regardais mes enfants s’amuser dans l’eau froide du Maine avec leur père. Leurs éclats de rire résonnaient jusqu’à moi et me rendaient heureuse.
Je me suis levée lentement, alanguie par la chaleur. J’ai marché jusqu’à la mer, puis je me suis assise à l’endroit précis où les vagues terminent leur course. Bercée par leurs flots, je fixais l’horizon dans un état de gratitude.
Soudain, un voile noir s’est posé sur mes pensées. Dans ma tête, l’éclatement d’un orage m’inondant de pourquoi.
Pourquoi suis-je au soleil, alors qu’elle brûle de fièvre?
Pourquoi lutte-t-elle pour sa vie, alors que je jouis de la mienne?
Pourquoi la maladie? Pourquoi la souffrance?
Je ne parvenais pas à trouver un sens à sa souffrance. J’étais frappée d’incompréhension devant l’injustice de la vie.
Jusqu’à ce moment, j’étais demeurée dans une forme de déni. La médecine la sauverait. L’argent la sauverait. L’amour la sauverait. Je savais bien que le cancer pouvait l’emporter, mais je n’avais jamais réellement envisagé cette éventualité. Maintenant, il le fallait. Si je voulais l’aider, je devais regarder la réalité en face. Ne pas me laisser gagner par la colère. Elle avait bien assez de la sienne.
L’assaut est venu des résultats de scan qui ont suivi le 4e traitement de chimiothérapie. Le lymphome était confortablement installé, malgré tout le poison dont on l’avait bombardé. « Je devrai continuer la chimiothérapie pour 2 à 4 traitements encore. Alors je me concentre, je ne lâche pas; je vais finir par en venir à bout! »
À la guerre comme à la guerre!
Chaque traitement était suivi d’un épisode de neutropénie sévère : l’absence de globules blancs dans son sang rendait Mélissa extrêmement vulnérable aux infections. Elle était donc clouée à l’hôpital dans une chambre d’isolation. Les tests dont elle était assaillie donnaient des résultats contradictoires. La situation devenait de plus en plus insoutenable, d’autant qu’elle s’était fait une promesse, réitérée à maintes reprises : « Je ne lâcherai pas! »
***
24 septembre 2015. 2 mois jour pour jour après son 34e anniversaire :
– Toujours hospitalisée?
– Oui, je crois bien en avoir pour un petit bout… Les neutros avaient pas remontés hier. Aujourd’hui, j’ai pas encore vu le doc.
– Ouf! Comment te sens-tu moralement?
– Pas yable, pour être honnête. Il y a des bonnes et des moins bonnes journées… Aujourd’hui, c’est une journée de marde! Je me bourrerais de Dilaudid et j’attendrais que ça passe. Je suis découragée, je m’ennuie de ma fille. Je sais pu pourquoi je subis tout ça. Y’a des bouttes de même… Ça finit toujours par passer.
– Je comprends. As-tu reçu de la visite?
– Hier, toute la journée! Ça m’a fait du bien. Aujourd’hui, c’est tranquille. Avec l’air que j’ai, c’est aussi bien que personne vienne… J’ai quand même pas pire peur que les traitements marchent pas, pis que je finisse par partir… Je sais qu’y faut pas voir ça de même, mais des fois ça me dépasse!
– Tu prends ça comme tu peux, Mélissa. Une heure à la fois. Es-tu capable de te détendre?
– J’ai une méditation guidée dans mon téléphone; je l’écoute à tous les jours et souvent, je reste allongée à relaxer après. Tu peux venir me voir quand tu veux. On se mettra de la crème à mains en se racontant nos vies. C’est de valeur que tu tricotes pas!
Le lendemain en début d’après-midi, j’ai enfilé la jaquette jaune, les gants, le masque, puis j’ai poussé la lourde porte qui protégeait Mélissa du reste du monde. Elle était assise dans le lit, ses lèvres souriaient, mais son regard était trouble. Elle était beaucoup plus mince que la dernière fois, les cheveux rasés, la peau diaphane. Un peu partout dans la pièce, je voyais ses effets personnels, comme si elle était chez elle : vêtements, livres, carnets d’écriture, de l’eau, beaucoup d’eau.
Elle était particulièrement agitée. Plus tôt, une femme avait fait irruption dans sa chambre, sans présentation ni costume d’usage, pour lui annoncer qu’on allait venir lui donner « son ça ».
– J’ai dit : Quoi, « mon ça »? Ben, votre culot de sang, qu’a me répond. Je l’aurais étranglée! A l’sait pas que j’suis à risque d’attraper tous les maudits virus qui passent. C’est une chambre d’isolation, c’est clair y me semble!
Elle était furieuse. À chaque phrase, le volume de sa voix montait d’un cran. Le manque de jugement et de professionnalisme de cette femme catalysait sa colère. C’étaient tout son ressentiment et sa rage qui s’exprimaient. Puis, elle s’est apaisée, aussi vite qu’elle s’était enflammée. Elle est redevenue joviale, rieuse même.
J’arrivais à la maison quand j’ai reçu son message :
– Allo! Je voulais juste te remercier d’être passée me voir; je l’apprécie beaucoup. Je sais que je n’ai pas été une super bonne « hôtesse » et je m’en excuse. Je me suis trouvée bête et pas très « dedans ». Ça n’excuse rien, mais j’avais une très grosse douleur au ventre quand tu es arrivée et l’antidouleur pris avant ne m’avait pas soulagée. C’est probablement le litre de liquide à l’iode que j’ai bu avant le scan qui a causé ça. Voilà, si tu reviens, je devrais avoir meilleure mine. Par contre, le mieux serait que je retourne vite chez moi et que tu n’aies pas le temps de revenir! Bon weekend!?
– Voyons donc Mel! Je savais bien que j’allais pas prendre le thé à Downton Abbey. C’est normal que tu réagisses comme ça avec tout ce que tu vis. Je te trouve tellement courageuse et résiliente. C’est sûr que je vais revenir, que ce soit à l’hôpital ou à la maison!
– Je me sentais comme de la merde! Ha ha ha! Je suis bonne pour Hollywood alors!
Ce va-et-vient d’émotions extrêmes plongeait Mélissa dans une grande fragilité. Chaque jour, elle s’enfonçait un peu plus dans les sables mouvants de sa psyché et devenait complètement imprévisible.
La peur alimentait l’inquiétude, la rage, la culpabilité; puis le malaise, les excuses, les rires. Rarement le calme.
C’était l’oeuvre du désespoir… de l’insoutenable.
Linda dit :
Oufffffffff !!!
Josianne Baril dit :
Moi aussi je suis allée la voir au chrtr lorsqu elle a eu la visite du Dr pour lui annoncer les soins palliatifs…. 3 semaines avant son décès…. elle etait sur un hi et ensuite un low… assez perturbant et dure à suivre…. Pauvre elle, elle ne devait meme pas se comprendre elle-même….. Elle était tellement courageuse!!!
Judith Proulx dit :
La violence de la maladie, c’est ce qui reste gravé dans ma mémoire. Sa force et son courage aussi, évidemment.