Le jour de mon anniversaire, j’ai manqué l’appel de ma tante Suzanne. Je m’affairais autour de mon vélo, gonflant les pneus, vérifiant les freins, car j’avais décidé de m’évader pour profiter pleinement de MA journée. Je comptais me rendre jusqu’au Sanctuaire Notre-Dame-Du-Cap, un lieu paisible où j’aime laisser libre cours à mes pensées.
Au moment où j’allais partir, j’ai réalisé que j’avais un message.
Dès la première intonation, j’ai reconnu la voix enjouée de ma tante Suzanne qui me souhaitait une magnifique journée d’anniversaire. Puis, j’ai perçu une courte pause, à peine audible, comme si elle voulait réprimer des mots qui ont rapidement eu raison de son hésitation :
— Tu sais, Judith… Je voudrais pas que tu le prennes mal, mais j’vais te dire une chose importante : Prends ta pilule ! J’te dis ça parce que j’ai lu ton dernier article et j’ai senti une telle détresse que ça m’a serré le cœur. Fais la paix, Judith ! Ta mission en cette vie, c’est le BONHEUR ! S’il y a une chose que Nelson m’a apprise, c’est bien celle-là ! Il m’a répété cette phrase pendant 25 ans ! J’me permets aussi de te dire ça parce que je déteste prendre des pilules. Mais en ce moment, avec le décès de Nelson qui chamboule complètement ma vie, je n’ai pas le choix. Je prends ma pilule pour dormir parce que je refuse de me laisser tomber. Tu comprends, Judith. Là, tu t’es mise dans la merde volontairement, alors que tu allais parfaitement bien. Qu’est-ce que tu veux prouver ? À qui ? Et pourquoi ? Arrête de te mettre des bâtons dans les roues et continue d’avancer. Là-dessus, je te souhaite de profiter de ta journée et rappelle-moi si tu veux, on s’en parlera. À bientôt !
Eh bien ! S’il y a un souhait auquel je ne m’attendais pas, c’était celui-là. Mais venant de ma tante, comment aurais-je pu m’en offenser ? Elle qui venait de perdre subitement son mari, comment pouvait-elle être si lucide, si déterminée à ne pas sombrer ? Je ressentais pour elle tant d’amour et tant d’admiration.
J’ai glissé mon téléphone dans ma poche et je suis partie, à toute allure. Pendant deux heures, je n’ai pensé à rien. Je me suis imprégnée de la ville. Une fois arrivée au Sanctuaire, j’ai déambulé tout doucement dans les sentiers et je me suis recueillie de longues minutes face au fleuve. C’est alors que le message de ma tante m’est revenu, comme un écho : Prends ta pilule !
Suzanne avait raison, entièrement raison. J’avais repris mon traitement depuis trois semaines déjà et je me sentais littéralement REVIVRE. Je retrouvais ma vitalité et mon désir ardent de poursuivre mes projets. J’étais si bien qu’en cet après-midi du 4 septembre, j’aurais pu jurer que jamais plus je n’arrêterais ma médication.
Quand je suis rentrée chez moi, j’ai commencé à écrire ce texte. Si j’ai mis autant de temps à le terminer, c’est qu’il subsiste un questionnement.
Pourquoi, malgré mes thérapies, mes prises de conscience et mes innombrables stratégies, suis-je incapable de gérer efficacement mon anxiété et mes affects dépressifs, sans médication ? D’autres y arrivent, non ?
La réponse de mon médecin est simple et parfaitement logique : Parce qu’il y a un dysfonctionnement de certaines parties de mon cerveau. D’accord, je comprends. Mais mon esprit cartésien en redemande. Je voudrais qu’un test m’indique clairement la nature du problème. Au lieu de cela, je n’ai qu’une liste de symptômes qu’on associe généralement au trouble d’anxiété. Ça ne me suffit pas.
Je voudrais la voir, moi, cette fameuse fracture dans mon cerveau. Face à l’évidence, je n’aurais d’autre choix que d’accepter mon état.
Pourtant… C’EST une évidence. Lorsque je prends ma pilule, je suis vivante et lumineuse. Je gère mon horaire, j’accomplis mes tâches, je soutiens mes enfants, j’aime mon mari. Bref, je suis heureuse et je réalise l’incroyable chemin parcouru depuis cet épisode d’angoisse dévastateur survenu en 2008.
Et si je décidais d’assumer cette pilule comme étant mon choix puisque c’est bel et bien mon choix. Je suis libre de la prendre ou non, libre de me sentir bien ou non.
Alors aujourd’hui, en ce 4 novembre 2018, je m’engage à me respecter et à vivre selon mes valeurs, pour mon bien-être et celui de ma famille. Amen.