Je suis tombée sur sa page alors que je perdais mon temps sur Facebook au lieu de travailler au manuscrit de mon livre, comme j’aurais dû le faire. J’étais dans un de ces états qui ressemble au désespoir sans l’être complètement, une sorte d’accablement devant l’ampleur de la tâche à accomplir, et la peur de l’accomplir en vain.
Soudain, ce nom, qui a tout de suite piqué ma curiosité : Mademoiselle Gref. J’ai cliqué, puis lu : « Insuffisante rénale en phase terminale, hémodialysée, en attente d’une greffe de rein, partagera tout au long de sa maladie et de ses démarches. » Oh! Je ne m’attendais pas à ça.
J’ai observé ses photos, un amalgame d’images croquées sur le vif et d’autres savamment mises en scène par un photographe. J’étais frappée de la voir ainsi, dans tous ses états : elle à l’hôpital après un traitement d’hémodialyse, les yeux plongés dans ceux de son amoureux, elle sur la passerelle d’un défilé de mode entourée d’autres mannequins, elle transformée en femme fatale, prenant la pose devant le photographe, elle pleurant.
Elle était d’une beauté rare, saisissante, que j’ai cherché à définir, comme hypnotisée par le contraste des images et des situations. C’était la délicatesse de ses traits mêlée à l’assurance qui s’en dégageait, la sensualité de son corps d’où émergeait un cathéter planté dans une veine sous sa clavicule.
C’était sa grâce et sa douceur qui semblaient nier la gravité de son diagnostic.
Depuis quand ses reins avaient-ils cessé de fonctionner? Pour quelle raison? Dans combien de temps pouvait-elle espérer un don d’organe? Elle se disait blogueuse, alors je me suis mise en quête de ses textes, dans l’espoir de trouver des réponses et de m’imprégner de son histoire. Car certainement, l’écrit est le moyen le plus sûr d’atteindre mon âme.
Voilà! Le premier texte datait du 11 novembre 2015. J’ai immédiatement pensé à Mélissa. Est-ce que j’étais allée la visiter ce jour-là, 3 semaines avant qu’elle meure? Je me suis rendue dans mon bureau en vitesse pour consulter son journal.
«11 novembre 2015. Je me sens fatiguée, la douleur est pénible. Ce sont surtout mes jambes et mes hanches enflées qui me donnent du fil à retordre. J’ai le sentiment de perdre mon autonomie. J’ai peur de ne plus avoir de qualité de vie; j’ai peur d’avoir peur. Judith était là, elle m’a soutenue. Ça m’a fait beaucoup de bien.»
Je savais. Mon intuition me trompe rarement. Tout de même, la coïncidence m’a semblé étrange. Je me suis donc empressée de lire le premier texte de Mademoiselle Gref.
«À toi cher ami,
Qui vient d’apprendre ma maladie. Ne laisse pas tes peurs et ton chagrin transformer notre amitié. Laisse de côté ta pitié. Viens me parler sans me déshumaniser. Ne cherche pas à me poser trente-six mille questions sur la maladie, le diagnostic, les traitements…
Cherche à savoir comment je vais et comment j’occupe mon temps. Si tu n’as pas les mots, si tu te sens maladroit, prends-moi dans tes bras. Ce petit geste vaudra beaucoup plus que tu le crois. Je n’ai pas besoin de beaux discours seulement de ton amour.
Viens vers moi, comme tu le faisais avant et fais-moi rire à pleines dents. Ne pense pas que j’ai perdu mon sens de l’humour et que je m’offusquerai de quelques tours. Que serait la vie, si elle devait être prise sans comédie face à la tragédie?
Les grands auteurs ont toujours su jouer de nos sentiments, pour prouver que devant les affres de la vie nous sommes tous démunis. Alors fais-moi me sentir en vie, repousse de ton énergie l’inévitable fin de celle-ci. Bien souvent le destin s’est joué de la mort et moi – je te le dis – je ferai tout pour rester en vie et que dans l’avenir on en rit!
Je t’aime mon ami, Janie Boulianne Gref»
J’étais touchée en plein cœur, des larmes coulaient le long de mes joues. J’aurais tellement aimé lire un texte comme celui-là au moment où j’ai appris le cancer de mon amie. J’étais alors si bouleversée que je n’osais même pas l’appeler, de peur de déranger ou de paraître déplacée. Mélissa qui avait, elle aussi, vécu dans l’attente d’une transplantation d’organe, dix ans avant de développer le lymphome qui l’a emportée. Mélissa qui, sans le savoir, allait à tout jamais changer le cours de mon existence.
J’ai dévoré les 3 autres textes, puis plus rien. Le dernier avait été publié le 22 décembre 2015. Pourquoi s’était-elle arrêtée? J’aimais le style, j’aimais le ton, j’aimais la femme. Je n’allais pas en rester là, non, car je sais maintenant que les malades ont des réponses que nous n’avons pas, qu’ils connaissent la vie d’une manière qui nous échappe.
Janie m’inspirait déjà à un point tel que j’avais décidé d’écrire sur elle. J’ai tout de même réfléchi quelques jours avant de lui envoyer un message – vous savez, cette fameuse peur d’être rejetée, d’avoir l’air ridicule.
Tout de même, moi, je n’étais pas son amie. J’étais une simple figurante qui espérait un rôle, aussi petit soit-il, dans sa mise en scène.
À suivre…
Crédit photo : Je tiens à remercier les fondatrices de V Kosmetik, Varda Etienne et Vickie Joseph, qui m’ont permis d’utiliser cette magnifique photo de Janie, l’un des visages de la marque lancée le 30 mars 2017.
Girard Lise dit :
J arrive d une soirée avec des bénévoles oeuvrant à l’association cancer.je réalise que l humain a besoin de l autre. Depuis longtemps je dirais même depuis mon adolescence je voulais faire une différence pour quelqu’un et bien voilà j’y suis et je suis tres émue. Je viens de realiser un rêve et je me sens encore plus vivante. Merci la vie.
Judith Proulx dit :
Toutes mes félicitations, Lise! C’est également cette sensation d’être utile, de faire une différence qui m’habite quand je fais mon bénévolat auprès de personnes en fin de vie. Et n’est-ce pas la chose la plus importante qui soit: donner un sens à sa vie. Merci beaucoup d’avoir partagé cet état d’âme avec moi, avec nous! Bonne continuation!
Julia dit :
Tellement touchant! Merci de nous faire découvrir Janie. J’ai déjà hâte au prochain texte à son sujet 🙂
Judith Proulx dit :
Merci Julia!
Josée dit :
J’ai hâte de lire la suite.
Judith Proulx dit :
J’y travaille 😉