Ce que l’accompagnement en fin de vie m’a appris

L’autosabotage

19 mai 2015. Mélissa était à Montréal pour recevoir son premier traitement de chimiothérapie. Je l’avais portée dans mon cœur tout au long de la journée, comme chacun des membres de sa famille, comme chacun de ses amis, certainement. Qui l’avait accompagnée? Son chum peut-être ou sa mère ou sa meilleure amie. Comment se sentait-elle? Avait-elle mal? Avait-elle peur?

Je déroulais mon fil de nouvelles Facebook quand j’ai lu ses mots qui ont dessiné un sourire sur mes lèvres :

– Le barista qui dessine une fleur sur mon latte par pure gentillesse. Ça annonce une belle journée post-chimio!

Chère Mélissa! Ne jamais se plaindre. Ne jamais faiblir. Ne jamais se laisser abattre. Elle était en traitement pour un lymphome agressif de stade IV à l’intestin grêle et elle prenait le temps de remercier ce parfait inconnu. Toute sa force et sa lumière brillaient dans ce message qui disait en réalité :

Je choisis de vivre. Malgré le cancer, je suis en vie, j’aime ma vie et je refuse d’être prise en pitié par qui que ce soit.

J’y percevais également sa vulnérabilité, sa crainte d’être une source d’inquiétude pour ses proches. Combien de fois m’a-t-elle dit sa chance d’être si bien entourée? Mélissa, comme bien des gens malades, avait l’impression d’être un fardeau pour sa famille. Elle se sentait coupable d’avoir besoin aide. Et, j’ai souvent eu l’impression qu’elle se croyait indigne de tout l’amour qu’elle recevait.

Mélissa est née avec une maladie rare affectant sévèrement le fonctionnement de son foie, une maladie si rare que l’équipe d’hépatologie pédiatrique de l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal a mis un mois et demi pour établir son diagnostic. Elle avait alors 6 semaines. Un mois plus tard, Mélissa a subi une intervention chirurgicale d’une complexité telle, qu’un seul chirurgien était en mesure de la pratiquer au Québec, avec l’assistance d’un spécialiste du Japon. Par bonheur, l’opération s’est parfaitement déroulée et Mélissa s’est rétablie de manière exceptionnelle. Elle était déjà une force de la nature.

N’empêche! Quel choc de commencer sa vie ainsi! Se retrouver seule dans une couchette stérilisée. Être brusquement sevrée du sein de sa mère. Être piquée, ponctionnée, biopsiée. Impossible d’imaginer la peur et la douleur ressenties par Mélissa. Impossible d’imaginer l’inquiétude et l’impuissance ressenties par ses parents. Comment un nouveau-né peut-il supporter tant d’agressions physiques? Avec quelles séquelles psychologiques s’en sort-il? Quelle impression de la vie peut-on avoir lorsqu’elle commence ainsi, dans la souffrance?

Elle devait savoir le fond de ma pensée :

– ­Mélissa, je vais me permettre de te dire quelque chose : ce que tu reçois présentement est un simple retour du balancier. Tu passes ton temps à aider tout le monde autour de toi. Tu ne te plains jamais, tu as le courage de toujours bien te présenter, d’être belle et bien habillée. De sourire, malgré tout. Pour moi, tu es réellement une femme d’exception.

– Merci, Judith! Faut que je travaille là-dessus, je sais. C’est pas facile, mais je veux pas bloquer le flot avec mes sentiments de culpabilité. Je travaille fort là-dessus. My God… Je sais pas quoi dire… J’ai de la difficulté à me voir comme ça…. Merci ??

– ­Je veux que tu crois en ton potentiel. Moi, j’y crois.

­– Merci… Ça me donne du courage pour la suite. Des fois, je trouve que je chiale pour rien et que je suis moumoune. Quand je suis dans mon bout difficile, je suis pas toujours agréable.

– Je suis comme toi moi aussi. J’arrive difficilement à me faire confiance. Quand Jean-François me challenge, je me décompose. Je l’accuse de ne pas accepter mes idées, alors que je n’arrive pas à les défendre.

‪– Pas facile de se faire confiance quand on a une inner bitch toute puissante. On est bonne pour s’autosaboter !

– Tellement! Moi aussi je travaille fort.

­– Je devrais réussir à voir un psy grâce au programme de la Fondation québécoise du cancer. Ça va m’aider je pense.

­– Je te le souhaite. Moi, ça me fait vraiment cheminer en ce moment. Je suis avec toi, Mel.

Sa dualité était aussi la mienne. Cette « inner bitch », comme elle l’appelait avec humour, je la connais par coeur. Je sais tout de son fonctionnement. Quand je deviens trop vulnérable, quand je perds mes repères, elle est là et elle me juge avec son extrême sévérité. Elle connaît la moindre de mes faiblesses et l’utilise contre moi. Elle m’anéantit. Alors même que je connais ma valeur, alors même que je suis convaincue de ma force et de mon talent, elle me fait sentir comme si j’étais un échec.

Mais je ne me laisse plus faire. J’ai découvert des mécanismes pour la calmer. Je lui dis ce que je ressens. Je lui explique l’état, l’émotion, la sensation, le plus précisément possible. Ce faisant, j’accepte ma vulnérabilité et je cesse de la considérer comme une faiblesse.

Et, elle, ma saboteuse intérieure, se décompose, perd toute sa puissance. Elle comprend qu’elle n’a aucune chance de gagner, car

ma vulnérabilité est mon identité et mon identité est ma plus grande alliée.

6 pensées sur “L’autosabotage”

  1. Céline Gauthier dit :

    Comme toujours, ton texte est très agréable à lire!…

  2. Joanne bonneau dit :

    Tu as raison Judith …apres en avoir pris conscience ….se trouver des moyens afin de ne pas figer sur place ,bouger avec ses peurs ….Merçi Judith de nous rappeler que nous ne sommes pas seules …

    1. Judith Proulx dit :

      C’est vrai, nous vivons toutes avec cette norme intérieure qui nous pourrit l’existence. Chacune doit trouver ses propres moyens pour l’assouplir. Tant mieux si les miens peuvent aider d’autres femmes. C’est ma motivation! xx

  3. Annie Michaud dit :

    Merci de mettre un mot si fort et si juste à cette cochonnerie qui m’empoisonne la vie moi aussi! Je pense que ça va m’aider à la désamorcer, cette inner bitch! Chose certaine, je ne la verrai plus du même oeil!

    1. Judith Proulx dit :

      Il faut bien l’observer pour comprendre son fonctionnement et apprendre à la désamorcer. Lâche pas Annie!

  4. Judith Proulx dit :

    C’est ce que je constate également. J’aime beaucoup vieillir!

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